Sonorités plastiques
Par Magalie Tez [contact]
En marge de l’exposition Sons
et lumières au Centre Pompidou (jusqu’au 3 janvier), Wendy
Magazine s’intéresse aux rapports complexes qu’entretiennent
musique et arts plastiques. Gros plan sur un jeune artiste de 36 ans, Johan
Duterrier, qui explore cette problématique avec radicalité.
Johan Duterrier a les cheveux couleur châtaigne d’automne, il
rit assez fort et donne rendez-vous dans des cafés qui ne commencent
que par la lettre P. « C’était une des performances
que j’avais présentées pour le concours des Beaux-Arts,
j’étais à l’arrache et je n’ai trouvé
que ça comme idée : une sorte de jeu de piste avec le jury où
des petits mots donnaient des indications pour se rendre dans un autre café
dont le nom commençaient par la même lettre. Je n’ai pas
été pris mais j’ai gardé cette habitude. Parfois,
ça me handicape socialement », explique-t-il avec ironie.
En 1996, sans aucun diplôme mais avec de l’audace et des idées,
cet « idéaliste de l’art », comme il aime à
se définir, monte à Paris et démarche des galeries. Problème
: il n’a aucune œuvre à présenter. « En fait
je n’avais jamais trouvé le temps de produire quelque chose »
se souvient-il. Au lieu de toiles, il leur propose alors des performances
qui consisteraient à incendier la galerie ou à y faire sauter
un colis piégé. Personne n’accepte, mais cette expérience
lui fait comprendre qu’il est autant plasticien que musicien, puisque
ces projets s’articulent tous autour de la notion de son : « dans
l’incendie, c’est le crépitement des flammes qui m’intéressaient,
dans l’explosion c’est le vrombissement du souffle ».
Dès lors, il n’aura qu’une obsession : démontrer
l’absurdité de la frontière entre arts plastiques et musique.
En 1999, il envoie une toile blanche qu’il n’a pas eu le temps
de peindre à Pierre Boulez intitulé Symphonie en ré
mineur « pour qu’il la dirige ». Sans doute abasourdi
par l’iconoclasme de la démarche, le compositeur ne répondra
pas. Pourtant, Johan Duterrier est repéré par un ancien métallo
qui connaît des gens travaillant à la FIAC. Faute de temps, leur
collaboration n’aura pas vraiment lieu, mais l’ancien ouvrier
a donné à l’artiste l’idée d’enregistrer
sur cassette des bruits d’usine et de les exposer à la Bourse
du travail. Devant le refus de la CGT, Johan Duterrier abandonne. L’idée
ressurgit quelque mois plus tard quand il propose de recycler le projet en
chantant a capella un opéra de Boulez à des toiles blanches
qu’il distribuerait ensuite à des mineurs en Lorraine. Malheureusement,
la dernière mine ferme en avril 2004, avant que la performance n’ait
réellement pu être mise au point.
Ni blasé, ni lassé, il sait que l’art ne comprend pas
le compromis. Les obstacles qui sont dressés devant lui sont au contraire
un encouragement à percevoir que sa démarche est la bonne. Son
dernier projet ? Attaquer au conseil d’État l’INSEE, et
en faire un happening politico-artistico-médiatique. L’INSEE,
qui classe les Français en catégories socioprofessionnelles
chacune dotée d’un code spécifique, sépare résolument
plasticien (354a) et musicien (354b). Il est encore à la recherche
d’un juriste.