Accélération et retours
Par Catherine Ferroyer-Blanchard [contact]
Cet
hiver, fini les manteaux de pieds de poule qui auront duré à
peine deux semaines. Les bottes fourrées n’auront tenu guère
plus et ne passeront pas le mois de janvier, au grand dam des fashionistas
qui se préparent à attraper une pneumonie, rien n’ayant
été prévu en remplacement des bottines UGG qui se sont
pourtant arrachées en automne. Et c’est bien là l’ennui.
Tout se démode si vite que de vraies questions sont soulevées,
y compris en terme de santé publique.
Eleanore Sprengler, fondatrice du célèbre cabinet Action!Fashion!
analyse la péremption de plus en plus rapide des tendances dans un
article publié dans la revue International Fashion Issues.
« La mondialisation, Internet et la musique en ligne ont créé
une ambiance générale d’accélération qui
est devenue le maître-mot de notre société post-moderne,
et la mode n’y échappe pas » explique-t-elle. Elle montre
que la durée de vie d’une coupe de jupe est passée en
moyenne de 124 jours en 1994 à 78 jours en 2004 ; celle d’une
couleur (hors noir) de 96 à un peu moins de 13 jours. La palme revient
à la périodicité de l’agencement d’un accessoire
sur une tenue (localisation d’un nœud, emplacement d’un badge
ou d’une broche…) qui est passée en 10 ans d’une
moyenne de 37 jours à 28 minutes.
Résultat : les boutiques ont du mal à suivre et restent avec
des stocks invendus et des clientes qui ne sont plus en mesure d’acheter
quoi que ce soit sans être ridicules. Eleanore Sprengler, qui a mené
des entretiens qualitatifs avec plusieurs d’entre elles, rapporte leur
désarroi : « J’avais acheté un petit top simple
saumon fluo un lundi matin et le jeudi, c’était déjà
fini alors que j’avais prévu de le mettre vendredi soir. À
la boutique, ils ont refusé de me le reprendre et je n’ose même
pas m’en servir comme chiffon pour laver mes vitres de peur d’être
la risée des voisins d’en face ». Les conséquences
économiques sont catastrophiques pour certaines boutiques qui ferment
faute de pouvoir suivre ou se réorientent vers la vente d’articles
réputés indémodables (boutons, chaussettes unies, t-shirt
blancs, fermetures-éclair). On cite même le cas extrême
de ce magasin de prêt-à-porter sur la 5e avenue à New-York
qui ne vend désormais que des pneus. En outre, selon un rapport remis
au secrétaire américain à la santé, les cas de
dépressions et de refroidissement des voies respiratoires (trachéites,
laryngites, bronchites, rhumes) auraient sensiblement augmenté et seraient
directement imputables à ce phénomène d’obsolescence
accélérée des articles textiles.
Eleanore Sprengler semble pessimiste et les quelques solutions qu’elle
ébauche peuvent sembler dérisoires : elle recommande par exemple
d’obliger les magazines de mode à avoir un rythme de parution
mensuel ou supérieur. À plus long terme, elle conseille à
l’industrie de la mode d’investir dans les recherches sur la DHEA
et le Botox pour minimiser le sentiment d’accélération
du temps des consommateurs. En France, une boutique semble pourtant avoir
trouvé la parade en misant sur le « nouveau vintage ».
Le concept consiste à vendre des articles qui s’arrachaient deux
semaines voire un mois auparavant et qui ont complètement disparus.
« Nos clientes apprécient l’ambiance friperie de luxe,
à la fois branchée et un peu désuète que dégage
notre boutique, raconte Ambre Vétiver de Whatever. Elles aiment
fouiller pour dénicher avec nostalgie des articles qu’elles pouvaient
porter le week-end d’avant ». Le magasin a également comme
clientes régulières les fashionistas les plus à l’affût
des micro-retours de tendances. C’est en effet Whatever qui
avait lancé, mi-octobre, le retour de la ceinture tressée avant
même sa disparition : la boutique avait doublé son chiffre d’affaires.
Un exemple qui rassurera finalement à la fois les consommatrices et
les professionnels.