Le marketing des unités de mesure

 

 


Par Olivier Malagier [contact]
 
Depuis que l'activité parfums est devenue la quasi seule source de revenus des maisons de coutures, le marketing n'a cessé de s'emparer des aspects les plus divers d'un produit auparavant annexe, dans un marché qui voit plus de 200 références naître chaque année. Parmi les contrées sémiologiques laissées en friche, il en est une à laquelle les spécialistes du marketing s'intéressent de plus en plus : l'indication de la contenance du flacon.

Au cœur des années 90, avec le triomphe du minimalisme, Adrien Maag-Weil avait lancé un parfum intitulé 200 ml. « Nous voulions aller à rebours de l’industrie des parfums qui travaillait plus sur le nom du produit et le design de l’emballage que sur la fragrance qui était devenue secondaire », raconte Alexandra Barbaian, directrice artistique chez Adrien Maag-Weil. « Avec 200 ml, nous voulions épurer au maximum l’objet, le débarrasser de toutes références extérieures à la réalité du produit lui-même ». Ce qui devient intéressant dans ce produit, c’est que le stick déodorant de 75 ml s’appelait 75 ml : en plus de l’abolition du nom, il ré-interrogeait, à travers le rapport contenu/contenant, la relation signifiant/ signifié.

Trop intellos et mal référencés dans les boutiques parce qu’il défiait précisément les critères classiques du référencement en s’attaquant au nom, 200 ml et 75 ml ont été des échecs commerciaux. Mais ils ont ouverts la voix à une exploration plus subtile des possibilités marketing des unités de volume. Martin-Karl Ber, chargé de trend-prospective au bureau de tendance narration_objet, avoue volontiers s’être inspiré d’Adrien Maag-Weil. « 200 ml nous a fait prendre conscience de la puissance évocatrice de simples unités de mesure. Nous avons fait le pari que les indications techniques inscrites sur les produits peuvent relever d’une stratégie de communication alors qu’on les cantonne généralement à de l’informatif pur et simple » explique-t-il. Il a proposé il y a quelques mois à plusieurs grandes marques un prototype de parfum masculin intitulé Poil s’inscrivant dans un retour de la virilité. « Nous avions refusé de faire un flacon en forme de glande sébacée parce qu’au-delà du côté vulgaire, on trouvait qu’il y avait une surenchère un peu ridicule avec des parfums aux formes de plus en plus baroques, et aussi pour une question de coût. De là est venue l’idée d’investir les marges du produit, ce qu'on appelle en littérature le para-texte ». Sur Poil, l’indication de contenance est ainsi libellée : 2,75 uk gal, 0.14 pk, 125 ml. L’idée est d’introduire des unités de mesures anglo-saxonne renvoyant à une certaine forme de masculinité. Le gallon (uk gal) fait confusément écho à un univers militaire tandis que le peck (pk, le double gallon) rappelle dans sa prononciation un des muscles rois des salles de sport. Exit donc le fl oz (once liquide) qui sonnait trop féminin. « Nous proposons cependant à nos clients de privilégier l’once pour les parfums de femmes ou ciblés gays, nuance Martin-Karl Ber, les deux lettre oz pouvant évoquer le rêve et l’évasion, ou Judy Garland ».


On pourrait penser que les limites de ces problématiques marketing apparaissent rapidement. Pourtant, Martin-Karl Ber en souligne au contraire le grand avenir. L'invention pure et simple d'unité de volume fictives est une piste souvent évoquée dans les couloirs des bureaux de tendances et des maisons de parfums : tantôt supports transparents de communication (« 1400 gouttes d'amours »), tantôt véhicule obscur de branchitude (« 12,85 milispetz »), le libellé de la contenance d'un flacon à la fragrance magique n'a pas fini de nous faire rêver.

 

 

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