>>> ARCHIVES #2

Vaccinez-vous contre le surpoids !

 


Par Adrien Lebelliez [contact]

L’immunologie au service de la beauté : un rêve pieux ? C’est ce que la communauté scientifique s’accordait à dire avant que le Professeur Jean Martin ne publie le résultat de ses recherches dans le numéro de janvier de la Revue Française d’Allergologie et d’Immunologie : il aurait découvert un vaccin amincissant. Nom de code de cette petite merveille : le Lipivax.


>>>EXACTEMENT COMME UN VACCIN


Ancien chercheur au CNRS, l’homme qui se cache derrière cette incroyable découverte est avant tout préoccupé par les conséquences sanitaires de l’obésité : « Si rien n’est fait, un quart de la population française sera obèse d’ici 2020 » martèle le Professeur Martin. « Face à l’hystérie provoquée par le régime Atkins, j’ai réalisé que l’immunologie alimentaire pouvait changer la vie de millions de personnes. C’est ainsi qu’est né le Lipivax. »
Le procédé en est extrêmement simple. « Il s’agit d’injecter une dose infinitésimale de lipides désactivés dans l’organisme du sujet » explique-t-il. « Le système immunitaire va alors les identifier comme des agresseurs : à chaque nouvelle intrusion, il enverra des lymphocytes B pour les combattre. C’est exactement comme un vaccin. »
La barrière immunitaire met en moyenne deux semaines à s’installer. Une fois ce délai écoulé, le sujet peut ingurgiter une quantité infinie de lipides sans prendre un seul gramme : en détruisant les lipides, les lymphocytes stoppent tout naturellement le processus de stockage des graisses.



>>>DÉMARCHE CITOYENNE

Évidemment, cette révolution immunologique n’intéresse pas que le milieu scientifique : les bénéfices de la commercialisation du Lipivax promettent d’être colossaux. Et contre toute attente, le brevet industriel n’a pas été racheté par un laboratoire pharmaceutique… mais par le géant hollandais Unilever (propriétaire de la marque Slim-Fast).
Pour Antoine de Fleurian, responsable du Brand Innovation Department au sein de la multinationale, le rachat du brevet s’inscrit avant tout dans une perspective éthique. « Il est impensable que, dans nos sociétés modernes, l’origine sociale joue un tel rôle dans le développement du surpoids » s’emporte-t-il.
Ainsi, selon une étude menée par le Département de Médecine Sociale de l’Université de Bristol[1], le fait de naître dans un milieu défavorisé multiplie le risque de surpoids par 2,82. « Au-delà de considérations purement commerciales, encourager l’accès à ce vaccin constitue clairement une démarche citoyenne. »
Selon une source gouvernementale qui a souhaité garder l’anonymat, Unilever a déjà mobilisé l’intégralité de son Industrial Lobbying Department pour sensibiliser l’INPES à la nécessité d’une campagne de vaccination à l’échelle nationale.


>>>FIN DU LIGHT

Mais encore faudrait-il définir le statut exact du Lipivax : produit pharmaceutique ou de grande consommation ? Le Legal Trivial Matters Department d’Unilever met tout en œuvre pour que le vaccin rejoigne la catégorie des substituts de repas : une telle classification permettrait de sauter la case AFSSAPS et d’accéder aux linéaires des hypermarchés.
Si cette démarche aboutit, de nombreuses filières risquent d’être totalement bouleversées : certains experts prédisent déjà la fin du light et des crèmes amincissantes.
Face à ce danger, Danone et L’Oréal viennent de fusionner leurs Counter-Intelligence Departments respectifs : « l’union fait la force » rappelle Arnaud Benoît, responsable de la cellule de crise chez Danone. « Par ailleurs, certaines études montrent déjà que le Lipivax induit des effets secondaires de nature à remettre en cause la balance bénéfice-risque du produit. »


>>>SYNDROME JAMES DEAN


En effet, il existe un petit bémol dans la composition actuelle du vaccin : selon l’Institut Pasteur, si le Lipivax diminue sensiblement les risques de maladies cardiovasculaires, il favorise l’apparition de tumeurs cancérigènes dans la région hépatique.
Un point faible qu’Antoine de Fleurian balaie du revers de la main : « Quelle est l’utilité de vivre longtemps quand on est en surpoids ? Nos panels montrent que 83 % des jeunes de 18 à 25 ans sont prêts à réduire leur espérance de vie de trente ans pour devenir plus minces. C’est ce que nos experts marketing appellent le syndrome James Dean. »
À l’instar du tabac, le Lipivax semble donc bien parti pour devenir la nouvelle Fureur de Vivre du XXIe siècle.

_______

[1] M. Okasha, P McMarron, J McEwen, J Durnin, G Davey Smith, Childhood social class and adulthood obesity: findings from the Glasgow Alumni Cohort, in J Epidemiol  Community Health, 2003