L'Académie royale de mode

 

 

Par Catherine Ferroyer-Blanchard [contact]

La Belgique n’est pas que le pays des frites, c'est aussi une capitale incontournable de la mode. De très grands designers comme Martin Margiela, Raf Simons, Lieve Van Gorp, Veronique Branquino, Dries Van Noten ou Ann Demeulemeester ont su démontrer leur savoir-faire et se placer à l’avant-garde de la fashion européenne. Mais c’est aussi grâce à une politique volontariste que Bruxelles s’est hissée si haut. En témoigne l’Académie Royale de Mode (ARM) qui fête tout juste ses huit ans. Retour sur l’épopée de la plus prestigieuse des écoles d’arts appliqués du Royaume.


C’est en 1997 que la Princesse Barbara, fille cadette de la soeur du roi Albert II lance l’idée d’un établissement supérieur d’enseignement de la mode qui aurait l’imprimatur royal. À l’époque, le minimalisme prospère sans partage sur les podiums. Barbara, en bonne Princesse rêve de strass, de perles et de sequins et se lamente de l’absence de politique volontariste en ce domaine. Joseph Pignon, aujourd’hui titulaire de la chaire « anthropologie politique de la mode » à l’ARM souligne également l’aspect politique du projet : « Il s’agissait surtout de réagir à la noirceur dépressive proposée par Olivier Theyskens d’un côté et à la mégalomanie arc-en-ciel en plastique de Walter Van Beirendonck de l’autre qui menaçaient par leur incohérence l’unité linguistique du pays ». Bref, Barbara veut utiliser la mode comme affirmation de la puissance royale et comme confirmation de l’indivisibilité de la Belgique. D’ailleurs à l’ARM, tous les cours sont trilingues et ils sont prononcés selon un cahier des charges très stricts : les noms doivent être en français, les adjectifs et les verbes en néerlandais et les autres mots en allemand.

À peine née, l’ARM est installée dans une ancienne usine de vasodilatateurs dont la façade, en forme de comprimé sécable, est classée patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO. Grâce à ses relations, la Princesse Barbara réussit toutefois à lui faire prendre l’aspect d’une paillette géante dessinée par John Kimberley, l’architecte de la villa de Jane Fonda.

Très vite, la Princesse Barbara cumule les fonctions : Présidente d’honneur, Directrice, Coordinatrice pédagogique, et même conseillère d’orientation, elle est partout, elle veut s’occuper de tout et connaître personnellement chaque élève dont les plus doués lui confectionnent des tenues extravagantes pour des bals de charité où elle exige que l’on passe de l’électro.

La qualité des étudiants se mesure à l’aune d’une sélection draconienne. Après des épreuves écrites portant sur différentes matières (de l’histoire de l’art à la chimie des textiles en passant par la psychologie analytique), chaque candidat doit passer devant un jury composé d’un créateur, d’un artiste plasticien, d’un agrégé de mode, d’un physionomiste new-yorkais et de la Princesse elle-même. Triés sur le volet, les rares élus – ils sont 12 par promotion pour 2500 dossiers – sont assurés d’avoir du travail puisqu’ils sont désormais salariés à vie du Royaume. À l’image de Barbara, ils sont choyés comme des princes et pendant les 3 ans que dure leur scolarité, les étudiants peuvent faire le choix entre 25 filières différentes (lainage, haute couture, boot cut, revival…) et plus de trois cents spécialités (collage, matière, fourrures, sequins, scénographie textile, maroquinerie plastique, tie and dye…). Au total, près de 2 % du produit de l’impôt sur le revenu collecté dans le pays est consacré à l’ARM. C’est peu au regard des retombées qui seront engendrées par les futures stars internationales formées ces huit dernières années. Un élève a déjà fait sensation en faisant défiler, pour son diplôme de fin d’année, pendant 6 heures, 550 mannequins entièrement nues et rasées pour sa collection intitulée « rien n’est à vendre ». Il aurait été approché depuis lors par Fabbio Lucci en personne. Ironie de l’histoire, c’est en annonçant avec fracas le retour du minimalisme, que cet élève a sans doute le mieux salué le projet audacieux de la Princesse qui rêvait, huit ans plus tôt, de broderies d’or.

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