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La fin du jojoba

 

 


Par Olivier Malagier [contact]
 
Depuis quelques années, le jojoba semble complètement out, remplacé par la nouvelle pierre philosophale des industriels de la beauté : l’aloe vera. Que s’est-il passé pour que le composant phare des cosmétiques des années 90 se soit ainsi marginalisé ? Une étude récente de l’American Review of Cosmeticology a montré qu’en 1992, 82% des soins pour cheveux utilisaient l’huile de jojoba comme régulateur, hydratant, revitaliseur, dynamiseur, luminiseur ou renforçateur. Cette proportion est tombée à moins de 26 % 10 ans plus tard. C’est la première fois qu’un phénomène de ringardise atteint un composant cosmétique. « Rien n’explique sa quasi-disparition : ni son efficacité, ni son prix, ni sa couleur, ni rien à part un pur phénomène de mode » se lamente Christian Pinquetet, le pape du jojoba de la place de Paris. C’est en 2000 que son Jojoba café a fermé, dernier vestige de l’empire Jojoba qu’il avait fondé à l’orée des années 90 avec son entreprise Jojobex. À l’époque, Jojobex vendait à tour de bras aux plus grandes marque l’huile de la précieuse graine, possédait un spa spécialisé dans les vapeurs de Jojoba, contrôlait une centaine de camions ambulant qui distribuaient chichis et chouros au jojoba et commercialisait même du lubrifiant pour moteurs.

Duke Mencheston, professeur de sémiotique des cosmétiques à l’Université d’Acapulco montre qu’en réalité rien n’est tombé du ciel et que la chute était prévisible « Il est tout à fait extravagant d’avoir imaginé construire un géant industriel reposant sur un graine avec un nom aussi ridicule ». Tout est dit. Les années 90, friandes des dénominations neu-neu se jettent à corps perdu dans le jojoba. « En France, l’apparition de Fido Dido est d’ailleurs contemporain du succès foudroyant du Jojoba » remarque Duke Mancheston. Mais aujourd’hui Christain Pinquetet se retrouve seul avec ses shampoings et autre sets de tables aux dénominations nunuches. Emblématique est son jeu de société On est tous jojo-baba qui n’est plus du tout diffusé.

L’aloe vera subira-t-il la même déconvenue ? Les entreprises cosmétiques ont en tous cas pris les devant en prenant une plante au nom un peu plus aristocratique. Mais Duke Mancheston lui prédit le même sort : jojoba, aloe vera, DHEA, huile d’avocat, extrait d’échinacéa, cire de carnauba, acides gras, vitamine A, huile de calandula, de chaulmogra, actifs d’arnica… Tous ces composants qui nous semblent aujourd’hui indéboulonnables seront bientôt balayés quand le A sera aussi démodé que le logo de Thierry Mugler. C’est ce qu’a compris l’entreprise I love U qui tente de lancer des gammes de crèmes dépilatoires au cajeput et au calamus, et des anti-diurétique au buchu et au copahu vendus aujourd’hui exclusivement chez Colette. Des études américaines ont en effet montré que le –u était la lettre la mieux associée par les couches les plus éclairées des jeunes urbains à des mots-clefs tels que régénérateur tissulaire, astringent, revitalisant, réhydratant, bactéricide, anti-inflammatoire, cicatrisant, fongicide et virulicide. Alors un conseil : ne jeter pas vos boîtes de pastille à l’eucalyptus, il y a des chances que vous puissiez les réutiliser d’ici peu sous forme d’autobronzant ou de collyre anti-effet peau d’orange.