Des looks mieux policés

 

 

Par Catherine Ferroyer-Blanchard [contact]

Depuis quelques mois, on assiste de plus en plus dans les rues des grandes capitales européennes, à des scènes d'arrestation d'un nouveau genre. Ici ou là, on rapporte que des individus se font interpeller dans les rues par des agents d'une nouvelle police, dont les directives peuvent paraître des plus surprenantes. En effet, la PELTAG, ou Police européenne du Look, de la Tendance et de l'Avant-Garde, a pour mission, comme son nom l'indique, de verbaliser les individus qui ne respectent pas le code vestimentaire établi par la Délégation européenne à la Prévision chromatique, qui siège à Bruxelles.

Ces termes administratifs étranges feront bientôt notre quotidien : la PELTAG a été créée très récemment sous la pression du lobby de l'industrie textile, appuyée par les grands groupes du monde de la mode et de la beauté, lassés de voir les acheteurs de leurs produits si mal les interpréter et les mettre en valeur. Partant du principe que la tendance lourde du marketing de la mode est précisément la micro tendance aux dates de péremption ultra rapprochées, les professionnels du secteur ont décidé de donner un coup de pouce aux trendsetters de la mode de la rue, pour qu'ils s'adaptent plus vite et mieux, vidant au passage d'autant plus rapidement les stocks des industriels.

Aujourd'hui donc, les rues de Paris, Berlin et Londres entre autres, sont arpentées par les agents de la PELTAG, reconnaissables à leurs uniformes tailleurs noirs mais bien coupés (donc indémodables) agrémentés d'une discrète mais distinctive broche en émail noir et argent représentant le logo de la PELTAG. Les directives de cette police sont simples : "interpeller tout individu sensible pris en flagrant délit de non respect du code vestimentaire, le verbaliser ou lui infliger un avertissement en cas de première infraction". Explication de texte : tout d'abord, on parle ici d'individus "sensibles", c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas de s'en prendre à quelqu'un qui porterait par exemple un jean noir et un blouson Schott, parce qu'il est évident que, non seulement c'est un cas désespéré, mais qu'en plus, ce n'est pas du tout le public que souhaitent viser les lobbys pré-cités. En clair, les badauds qui ne sont pas déjà un peu lookés ne risquent rien.

Mais ceux qui tentent de l'être ont tout intérêt à ne commettre aucune erreur. Car c'est dans ce cas que l'on encourt une verbalisation sous forme d'amende ou d'avertissement. Une faute dans la teinte de la couleur du jean vaut une contravention de niveau 1, une faute dans la couleur du manteau, on passe en niveau 2. Le niveau 3 concerne les erreurs de coupe dites "fatales" (pantalon coupe carotte, tee-shirt XXL). Le niveau 4 s'applique aux fautes d'assemblage dans la tenue ou d'asaisonnalité d'un vêtement (mettre un blouson de ski au mois de juillet, même s'il fait frais pour la saison). Il est complété par un niveau 5 qui s'attaque aux erreurs dites périphériques (coupe de cheveux, maquillage, voire démarche ou port du sac) ; quant au niveau 6, le dernier, et le pire, il concerne les "grosses fautes de goût" : ce sont les erreurs les plus graves, mais aussi les plus sujettes à contestation de la part des verbalisés.

Car évidemment, sitôt créée, la PELTAG a fait l'objet d'une polémique, qui va grandissant, tant sur ses méthodes que sur ses moyens. On reproche en effet déjà à cette police de souffrir des lenteurs d'une administration et d'être tombée dans la situation paradoxale d'une institution avant-gardiste qui prend du retard par rapport aux normes qu'elle doit elle-même édicter. On susurre même dans certains couloirs que cette police ne serait qu'une vaste mascarade, dont les instigateurs ne connaissent que trop bien les limites et l'espérance de vie réduite, mais qui l'auraient fomentée comme un coup de publicité monstrueux, destiné au milieu assez fermé de la hype citadine, cible de plus en plus difficile à toucher. "Que de moyens engagés pour un coup de pub", rétorque-t-on chez les partisans de la PELTAG, qui, s'ils trouvent cet argument pertinent pour déjouer la thèse de la mascarade publicitaire, n'en souligne pas moins le manque de budget. Renouvellement des uniformes, formation des agents, élargissement de la zone de couverture, amélioration du fichier européen de reconnaissance des individus mal lookés (sic) etc. : autant de postes budgétivores qui vont réclamer un investissement croissant des partenaires du projet.

Autant dire que si la PELTAG a démarré en trombe, avec un total de 624 interpellations sur la seule ville de Paris le premier jour de service, on peut être sceptique pour la suite des événements. Parmi les plus récents, on apprend que la Cnil vient d'être saisie par une jeune parisienne de 27 ans : elle vient en effet de se voir refuser un poste d'hôtesse d'accueil chez un célèbre malletier des Champs-Élysées, car ses employeurs potentiels ont pu, en consultant le fichier européen des individus mal lookés, avoir connaissance de son passé peu brillant de porteuse de boléro, et ont jugé que cette erreur était incompatible avec le poste à pourvoir.

Si l'on peut donc évidemment remettre en cause l'intégrité de la PELTAG, elle n'en reste pas moins légitime puisqu'elle permet à ceux pour qui le look est une préoccupation constante de rester dans le droit chemin de le tendance, en somme de nous rendre meilleurs.

 

Relâché pour vice de forme, cet homme avait été interpellé par la PELTAG lors d'un vernissage à Londres.
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