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Une Madonna près de chez vous

 

Par Hadrien Albinoni [contact]

Elle répond un peu à côté, elle regarde ailleurs, elle sourie à intervalles, et lorsqu'elle sourit, c'est face à des yeux ou des flashes. Elle, c'est Desiree. Enfin, Desiree, c'est le pseudonyme de la star naissante, héritière de Madonna, qu'elle incarne. Son prénom, c'est Sally. Celle qui chante sa chanson, c'est Monica. Sa chanson est de Mirwais, producteur des albums Music et American Life de Madonna. Et ce qu'elle raconte aux faux journalistes lors de cette conférence de presse enregistrée en studio et diffusée dans l'auditorium du Centre Coca-Cola pour l'Art contemporain d'Atlanta, Georgie, c'est Gustav Gustavsson, jeune artiste danois, qui l'a écrit. Qui l'a monté de toutes pièces.

Reprenons. On parle de Madonna. Mais tout part de Britney Spears. En 1999, lorsque la blondinette envahit le marché mondial avec « Baby One More Time», les médias ne cessent de la comparer à la chanteuse de « Like a Virgin ». Gustav Gustavsson, alors jeune immigré suédois de 16 ans au Danemark, s'interroge. Entre deux imitations de la chorégraphie à couettes, son projet artistique est en germe. Aujourd'hui installé à LA, son œuvre d'art est une tournée dans tous les Etats-Unis, avec les mécénats prestigieux de Coca-Cola et Sodexho, le soutien de Mirwais, du Centre d'Études statistiques appliquées au Marketing culturel du Detroit College of Business, et de Madonna elle-même par un clin d'œil lors des derniers MTV Awards.

Il y a d'abord un constat empirique, nourri de pop culture : toutes les chanteuses pop des années 90 et 2000 sont des répliques, à des degrés divers, de Madonna. Des plus évidentes - Britney Spears et Christina Aguilera - aux plus inattendues comme Shriley Manson (Garbage) et Björk. En passant par celles qui pompent sauvagement sur la star comme Gwen Stefani, mais aussi Pink, Jennifer Lopez, Kelly Osbourne, Beyoncé Knowles, Lorie... Mais toutes ces Madonna touchent des publics variés, éclatés, segmentés, contrairement à la Madonna originale qui est universelle. Des correspondances entre chanteuses et communautés se créent : Jennifer Lopez - communauté hispano ; Pink - communauté lesbienne, par exemple.

Gustav Gustavsson fixe alors ce processus et en fait le centre de sa démarche : créer des Madonna de toutes pièces adaptées à des publics précis. Du marketing communautaire pur, avec pour but de couvrir toute la carte des Etats-Unis. Cette démarche n'est pas si nouvelle dans le show business. Les producteurs d'eurodance prenaient une voix ici, une silhouette là. Les boys bands et girls bands étaient avant tout affaire de savants dosages. Tout comme les émissions Star Academy et autres Popstars. Selon certaines sources, le producteur des jeunes filles lesbianisantes de Tatu aurait lancé récemment une tout aussi jeune chanteuse turque voilée.

D'un point de vue historique, c'est l'illustration d'un mouvement bien plus large, une nouvelle étape dans la mondialisation et l'uniformisation culturelle dont on la taxe. On prend un standard global : Madonna. Et on la décline pour la rapprocher des spécificités de chacun, afin d'améliorer l'acceptabilité et réduire les résistances. Pas étonnant que Coca-Cola et Sodexho s'intéressent à l'expérience.

D'un point de vue scientifique, c'est simple : on choisit une série de critères et de caractéristiques, et on fait des rapprochements. Après un an de recherches, de consultations d'études et d'experts, Gustav Gustavsson s'est arrêté sur pas moins de cinq classifications. Il s'agissait d'abord de qualifier les publics à toucher. Géographiquement : Côte Est, Côte Ouest, Grandes Plaines du Centre et Sud Profond. Racialement/Socialement : Noir, Blanc, Latino, Asiatique. Sexuellement : filles hétérosexuelles, filles homosexuelles, garçons hétérosexuels, garçons homosexuels.

Puis de caractériser les futures Madonna. Leur style, c'est-à-dire les univers musicaux explorés par Madonna et suffisamment variés pour couvrir la population la plus large : Soul/Hip-Hop, Disco/Dance et Pop/Rock. Leur personnalité, aussi. Pour cela, Gustavsson a polarisé Madonna en quatre traits de caractère qui fondent son succès, sa durabilité et les comparaisons avec toutes ses héritières : malicieuse, joueuse, rusée, coquine.

Des rapprochements basés sur les études sociologiques existantes et les clichés, et le reste n'est qu'affaire de mathématiques. Betty Marcos, directrice du Centre d'Études statistiques appliquées au Marketing culturel du Detroit College of Business, dont les étudiants sont les petites mains du projet, explique : « On utilise une méthode très classique en études statistiques : la classification. Vous prenez un nuage de points, chaque point représentant un critère, un item défini au préalable. Vous calculez les inerties, c'est-à-dire les distances entre les points. Le but est alors d'avoir des groupes bien homogènes, mais éloignés les uns des autres. Ce que vous obtenez à la fin, ces groupes de points, ce sont vos chanteuses Madonna. » Un jeu d'enfant, donc.

Manque encore la partie artistique, qui débute par un casting dissociant personne physique et voix/talent musical. C'est le cas de Desiree, partagée entre Sally, le corps, et Monica, la voix, pour constituer une jeune Madonna noire du Sud des Etats-Unis, aux accents légèrement blues et amers. Pour elle comme pour toutes ses camarades, Gustav Gustavsson a défini une identité, Mirwais écrit une chanson, Oswald Farinelli, disciple de David Lachapelle, réalisé un clip. Elle est à l'honneur à Atlanta. On apprend tout d'elle grâce à la conférence de presse diffusée sur écran géant. Elle est présente en chair et en os pour les autographes. Dans les galeries du Centre Coca-Cola pour l'Art contemporain, on découvre sur écrans muraux les 39 autres Madonna.

Le lendemain, la tournée fait halte à Saint-Louis, Missouri. A la Matthew Shephard House, ce sera au tour de Bud d'occuper la première place, une chanteuse pop-rock. Sa spécificité : les côtés les plus masculins et proches de la nature de Madonna. L'efficacité du projet de Gustav Gustavsson peut effrayer. Ceux qui lui demandent où il veut en venir n'obtiennent qu'un sourire espiègle. Qu'attendre de ce projet ? Le meilleur ou le pire serait des stars locales qui marchent.

 

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