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Le retour des années 90
aujourd'hui et chez soi

 

Par Hadrien Albinoni [contact]

Pas de temps à perdre : « La tendance ne vous attendra pas. » Pour être prêt(e) pour le retour des années 90, il faut commencer dès maintenant à rassembler ce qui constitue la première étape d'un revival en bonne et due forme : les objets cultes.

Wendy Magazine a scanné toutes les années 90 et a déniché les objets qui en disent long sur cette décennie. Pour ne pas reproduire les erreurs des Revivals Seventies et Eighties et enfin enclencher un retour de décennie pertinent.

 

PEOPLE / BEAUTÉ
Claudia Schiffer - « Perfectly Fit »
(série de K7 VHS, 1995,
« 
Abs », « Arms », « Legs », « Buns »)

Flashback

En 1987, Claudia Schiffer est repérée dans une boîte de nuit ouest-allemande. Quelques années plus tard, cette fille d'avocat règnera sur une décennie avec le titre plus ou moins officiel de plus belle femme du monde. Au faîte de sa gloire, en 1995, Claudia Schiffer nous montre comment se muscler le fessier dans un avion entre New-York City et Budapest. A moins que ce ne soit un Milan-Tokyo.

Qu'est-ce qui est si « so nineties » ?

Faire du monde une vaste RFA.
La Chute du Mur de Berlin en 1989 représente pour la RDA comme pour tous les pays libres du monde l'immense espoir de devenir des RFA à leur tour. Claudia Schiffer déploie alors sa chevelure blonde. Ses boucles sont les certitudes tranquilles d'un capitalisme au triomphe modeste. Dans « Perfectly Fit », elle explique comment, à force de rigueur et de routine, on peut s'accomplir dans la vie. Avec elle, les défilés sont réglés comme du papier à musique, les voitures gagnent en sécurité, les cheveux gagnent en vitalité, la peau gagne en non-vieillissement et rien dans son allure, dans son regard, dans les pages people des magazines ne pourrait laisser mettre en doute ses implacables capacités. Tout est sous contrôle. Tout est ennuyeux, aussi : elle épouse David Copperfield.

Les Top Models, stars d'un monde de mobilité.
« Perfectly Fit » opère dans l'univers des vidéos de fitness à domicile un véritable saut qualitatif : le domicile disparaît au profit d'une multitude d'endroits du globe - une plage, une rue de Prague et, surtout, un avion. Pourquoi les Top Models deviennent-elles des stars mondiales dans les années 90 ? Parce qu'elles sont tout le temps dans des avions, volant de catwalks en podiums. Dans les années 90, on parle de mondialisation, de village global, de flux d'information et de capitaux dans tous les sens, de NTIC. La fin des Blocs et le déclin des dictatures ouvrent la porte à un monde entièrement accessible. Le medium devient plus important que le contenu, le mannequin-porte-manteau plus aimé que ce qu'il est prêt à porter. Pas d'émotions à transmettre, pas d'utopie à porter, pas de génie, on adule les top models, on veut être comme elles, juste parce qu'elles bougent, qu'elles marchent bien, qu'elles voyagent, qu'elles portent un jour du Jean-Paul Gaultier, le lendemain du Kenzo indifféremment.

Le malentendu de la facilité
« Perfectly Fit » est emblématique de la décennie également dans son relatif échec commercial. Dans les années 90, les adolescentes veulent le corps de Claudia Schiffer mais sans l'aérobic des années 80. On voudrait que tout soit rapide et facile alors on se contente de ne pas manger ou de se faire vomir. Eh puis qui voudrait être l'amie d'une femme qui fait ses abdos dans l'avion et s'en vante ?
Dans les années 90, les pays de l'ex bloc soviétique se rendent compte que l'économie de marché n'apporte pas tout tout de suite, même en s'aidant de la corruption, et qu'être un réservoir de mannequins, de prostituées et d'actrices porno ne suffit pas à se fabriquer une prospérité. On se rend compte que les Top Models, pour rester au top, sont soit sous l'emprise de la drogue, soit Claudia Schiffer. Et surtout, qu'elles vieillissent malgré tout, malgré leurs promesses L'Oréal, et finissent dans des pubs Moulinex. Claudia Schiffer devient l'emblème d'une vaste trahison et des millions de Français se reconnaissent alors, émus, dans l'anti-hymne « Foule sentimentale »d'Alain Souchon. « On nous Claudia Schiffer / On nous Paul-Loup Sulitzer / Ah le mal qu'on peut nous faire ».


ART / CULTURE
Doc Gynéco - CD simples tirés du premier album « Première Consultation  »
(
« 
Viens voir le Docteur », « Nirvana », « Vanessa », « Ma S... à moi », « Passements de jambes »)

Flashback

En 1996, le single « Viens voir le docteur » de Doc Gynéco est un tube. Issu du Ministère AMER, un groupe de rap français qui parle de choses pas fun du tout comme son nom le laisse penser, le chanteur change de registre et décide de s'adresser à plusieurs générations de femmes, de la vierge à la mère de famille, pour coucher. L'album sort, quatre autres singles aussi, le Docteur fait son trou dans la variété française.

Qu'est-ce qui est si « so nineties » ?

La domination du mou.
Doc Gynéco, c'est avant tout un homme lent, aux yeux mi-clos. Dans les années 90, le cannabis est normalisé et l'usage veut que l'on ne débarque pas sur un plateau de télévision sans avoir fumé. La provocation est molle, l'apologie du détournement de mineur (« tu viens d'avoir 15 ans... »), l'incitation au suicide (« Comme Beregovoy / Aussi vite que Senna / Je veux atteindre le Nirvana »), le sexisme (« des meufs grillées qu'on fait tourner ») se font avec une nonchalance groovy sur des samples mous et les réactions sont molles parce que les valeurs son molles et relativisées, dans les années 90. On accepte tout si c'est dit avec le sourire et les gens qui montent sur leurs grands chevaux ont l'air suspect. D'ailleurs, si quelqu'un s'énerve, il a en face de lui un sourire bête et muet surmonté d'une vague touffe afro, alors mieux vaut le trouver cool et l'inviter à son émission. On peut même devenir un sex-symbol en étant mou. On écoute du trip-hop, on se blottit dans le cocooning et on est prêt, par dépit mou, à confier les rênes de la République à Edouard Balladur.

La variétisation du rap français.
Le Ministère AMER sort son premier album en 1991. Après trois albums et des morceaux aux titres évocateurs - « Pourquoi tant de haine », « Sacrifice de Poulets » - ce « Secteur Ä » accouche de trois stars de variété - d'abord le Doc Gynéco, puis Passi, qui fait un hit en citant des émissions de télévision, et Stomy Bugzy qui crée le rap français de papa sympa (« Mon papa à moi est un gangster »).
Le rap avait déjà changé de statut en France avec MC Solaar, adulé des critiques du Nouvel Observateur. Mais Doc Gynéco incarne mieux le virage : liquider le constat de cette « société qui tombe » selon le diagnostic de « La Haine » de Matthieu Kassovitz en 1994, et passer directement au top de la pop. Sans état d'âme mais en faisant mine de ne pas renoncer. Rester intègre en se faisant comparer à Gainsbourg. Dès 1997, Doc Gynéco enchaîne les duos avec les Rita Mitsouko, Julien Clerc... Tout peut se vendre comme cool, dans les années 90, même chanter avec Bernard Tapie, pourtant le symbole d'une conception sauvage du capitalisme. Les rappeurs comme la population s'en foutent : dans les années 90, c'est la crise économique et idéologique, alors on se sert.

Le name-dropping.
Ecouter les simples du premier album de Doc Gynéco est jouissif parce que toute la culture pop française de l'époque y défile. Dans « Vanessa », l'auteur s'adresse implicitement à Vanessa Paradis, surgie à la fin de la décennie précédente, mais la Vanessa de l'époque à laquelle on pense automatiquement est Vanessa Demouy : moins de talent mais plus de seins. Les constats sociétaux du rappeur (« Il y a plus d'couche d'ozone / et les seins des meufs sont en silicone ») renvoient aux émissions de reportages télés qui fleurissent comme des champignons au cours de la décennie. Au détours des rimes, on entend aussi parler de choses aussi drôles que Beverly Hills, Hélène et les Garçons, Classe Mannequin, les morts violentes de Senna, Bérégovoy et Cobain...

 

POLITIQUE / LITTÉRATURE
Docteur Gubler - « Le Grand Secret », en format numérique

Flashback

Le 17 janvier 1996, neuf jours à peine après la mort de François Mitterrand, ancien Président de la République française, celui qui avait été son médecin traitant pendant deux septennats jette un pavé dans la mare en publiant ce que tout le monde sait déjà : Mitterrand était un grand menteur. Notamment, malade dès la fin 1981 d'un cancer de la prostate, il faisait publier par le Dr Gubler de faux bulletins médicaux, et ce jusqu'en 1994. L'ouvrage est interdit dès le lendemain de sa parution mais c'est trop tard : tout est sur le Net.

Qu'est-ce qui est si « so nineties » ?

On veut tout savoir mais pas tout entendre.
Dans les années 90, la « société civile » a soif de transparence, on veut tout savoir sur ceux qui nous gouvernent, sur la nourriture qu'on nous vend, sur notre histoire, sur les people qui nous font rêver. Lady Di en mourra. Mais ce vent de fraîcheur balaye avec peine ce que le passé charrie de nauséabond. Un passé français trouble justement incarné par le personnage de Mitterrand, présent à toutes les époques since les années 40.
Quand le livre paraît, Edouard Balladur, Danièle Mitterrand et les milieux médiatico-judiciaro-politico-médicaux s'indignent en chœur. Le livre est interdit de vente le lendemain par le Juge des Référés, Claude Gubler est condamné quelques mois plus tard à quatre mois de prison avec sursis et à verser des dommages et intérêts à la famille du défunt. Il est radié de l'Ordre des médecins en 1997 et exclu de la Légion d'Honneur en 1999. Ce qu'il paye si cher ? Avoir dit la vérité, pas avoir accepté de mentir pendant plus de dix ans. Mais c'est sans compter que, un, Mitterrand n'est plus là pour faire la loi, deux, 40.000 livres se sont déjà vendus comme des petits pains, trois, Internet, Internet, Internet.

Internet.
Le couperet de la censure tombe à côté de la plaque. Le livre est interdit à la vente mais immédiatement numérisé et mis en ligne sur le « web ». Avec le Grand secret du Dr Gubler, la France entière découvre une chose qui va changer sa vie pour toujours. Internet n'en est qu'à ses balbutiements mais déjà, des millions d'employés de bureau peuvent se vanter dans leur foyer d'avoir un collègue «connecté » à ce mystérieux réseau qui a reçu l'ouvrage par « e-mail ».
Les petits pains des libraires se muent en disquettes-biscottes sauvagement multipliées. Internet est à la fois un manteau et une cape. Sous le manteau du « net », on peut tout se procurer, notamment ce qui est interdit. Et on rie sous cape de se sentir des millions à faire les mêmes choses de par le monde. Sans que personne ne le lise vraiment, le Grand secret du Dr Gubler se trouve emporté dans une gigantesque partie de téléphone arabe.
Dans les années 2000, la France sera condamnée par la Cour européenne des Droits de l'Homme pour atteinte à la liberté d'information, le livre reparaîtra dans l'indifférence générale, et de nouvelles révélations seront diffusées : Mitterrand se serait fait aider pour mourir, un truc indicible dans les années 90.


Mais également...

 

SANTÉ / FORME
Le préservatif à 1 Franc

Lancé en décembre 1993 par Christophe Dechavanne et Philippe Douste-Blazy, alors ministre délégué à la Santé, le préservatif à 1 franc est la dernière grande campagne publique où l'on s'est adressé aux jeunes en leur disant, non pas « Non », mais « Allez-y ». Dans les années 90, on parle du sida et on parle de sexe : c'est l'encapotage de l'Obélisque de la Concorde le 1er décembre 1990 par Act-Up Paris et Benetton, les émissions radio de Doc et Difool et de Tabatha Cash, les premières émissions Sidaction avec ses coups d'éclats.
La capote à un franc symbolise aussi la naissance de la responsabilité sociale d'entreprise. Les fabricants de préservatifs acceptent de baisser leurs prix au motif de la santé publique, et acceptent d'y voir leur intérêt économique à long terme.

 

MODE / LOISIRS
Le t-shirt coloré maison grâce au procédé du Tie & Dye

On prenait un t-shirt, on le froissait, on le mettait en boule, on le trempait dans de l'eau javellisée ou de la teinture, et on avait un t-shirt à soi comme tout le monde.
Les années 90, ce sont d'abord celles du Revival Seventies, le plus grand «retour » de tous les temps. Pour la première fois de l'Histoire du monde, dans les années 90, la récupération dépasse la création. Les années 70 sont ainsi pillées, notamment les productions funk, et remises au goût du jour après avoir été débarrassées de leur souffle libérateur.
Les années 90, c'est aussi une crise économique qui perdure ou rebondit, et le fait-maison-fait-main revient en grâce, décliné pour prendre en compte la montée parallèle de l'individualisme. C'est donc l'essor de la customisation. Tous les lycéens ont un sac à dos EastPack, mais tous le croient unique parce qu'ils ont cousu un patch du groupe de métal Korn sur la poche avant.


Les Docteurs Gubler et Gynéco et une amie.
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