S'il ne devait en rester que trois...

 

Par Catherine Ferroyer-Blanchard [contact]

Mauvaise nouvelle. Chaque début d'année, les magazines, les dîners en ville et les brainstormings des cabinets de tendance se livrent une compétition enfiévrée pour découvrir les accessoires essentiels des mois à venir. Pour maximiser les chances de tomber juste, les listes de ces indispensables objets tendent à s'allonger jusqu'à l'absurde. Un célèbre trend-researcher londonien a par exemple publié en janvier un véritable bottin recensant pas moins de 1040 accessoires de mode, dont apparemment personne ne pourrait se passer jusqu'à fin novembre 2006 : on y trouve pêle-mêle le hennin, les montures de lunettes sans verre, ou la genouillère XXL, sans véritable hiérarchie ni explication convaincante. Le lecteur s'y perd et … se trompe. Le multiple est l'ennemi du bien. Les fashionistas devrait relire Platon.

Bonne nouvelle, donc. Un simple sens de l'observation, un peu de réflexion et un minimum d'intelligence de l'avenir permettent de dégager trois objets réellement must-have pour l'année 2006.


La pastèque

Fruit démesurément grand, démesurément léger et démesurément chromatique, la pastèque est incontestablement la star de 2006. Elle est le concentré d'une époque nébuleuse enfermée dans le cercle vicieux d'une société de consommation à bout de souffle, m'as-tu-vu, encombrante, sucrée. Elle en constitue aussi et surtout un formidable pied de nez. Une incursion de la nature dans le monde de la mode saturée d'innovations techniques. Agrémentée d'une simple lanière de cuir, la pastèque devient un sac géant, à la fois plein (on ne peut rien y mettre sauf à l'évider et donc à salir ses affaires), et vide (elle ne transporte rien d'autre qu'une chaire presque irréelle composée à 92 % d'eau). La pastèque est belle, intelligente et audacieuse.

Le bon choix. Porter la pastèque à bout de bras (par exemple, avec une poignée) pour ne pas tomber dans le mime absurde d'une ruralité fantasmée et réactionnaire.



Le ticket de caisse vintage

Monté sur broche, sur pin's, sur badge, utilisé comme marque-page ou comme pense-bête fashion, ou tout simplement arboré, le ticket de caisse vintage apparaît déjà comme un élément nécessaire dans toute tenue un peu sophistiquée. Objet extirpé de sa sphère originelle de l'économie domestique, il confirme que la mode est un perpétuel jeu de brouillage et un système conceptuel à même de tout digérer. Mais derrière ce nouvel avatar de l'obsession du détournement observé depuis le milieu des années 90, se tapis une sorte de nostalgie sombre pour une monnaie déchue (ici le Franc), des objets disparus (ici le cordon minitel) ou des magasins rayés de la carte (ici Continent). À la limite de l'humour et de la mélancolie passéiste, le ticket de caisse vintage flirte avec les fantasmes de notre temps.

Le bon choix. Choisir un ticket qui multiplie les citations vintage, par exemple les numéros de téléphone à 8 chiffres. Les tickets de caisse en euros ne sont pas valides.



Le sac-poupée

Opposition frontale et radicale entre la douceur mythologique d'une poupée et la violence inouïe induite par la fabrication du cuir, le sac-poupée est l'accessoire fondamental pour qui souhaite assumer l'année 2006. Sécurité bienveillante du matériau utilisé, et sécurité psychanalytique de la figurine sont les deux mamelles de l'explosion commerciale prévisible de ce curieux objet. Effrayée par le terrorisme et s'accrochant à la queue de la comète adulescente, l'époque nous raconte, à travers la nécessité du sac-poupée, ses besoins malsains d'enfance et d'authenticité.

Le bon choix. La poupée doit être de profil, froide, sans corps pour éviter le retour de l'iconologie fluo et babillante de type techno parade (retour qui du reste n'aura jamais lieu).


>>> ARCHIVES #5