Premiers jets
Par Hadrien Albinoni [contact]
À
la dernière biennale de Luxembourg, ce n’est pas sans un parfum
de scandale qu’Arthur Sé, jeune artiste de 42 ans, a fait pour
la première fois véritablement parler de lui. Avec son happening
intitulé « Jacques-Jacques 45 » consistant en un jet de
plusieurs centaines de cymbales du haut du hall d’exposition, il a fait
littéralement grand bruit. Rencontre avec un artiste déroutant,
ancien dramaturge de boulevard.
Wendy Magazine :
Vos principales œuvres sont fondées sur l’idée de
temps et de fugacité, et vous vous tournez de plus en plus vers la
performance. Est-ce que vous vous considérez toujours comme un plasticien
?
Arthure Sé :
(il rit) Absolument pas. Et je ne l’ai jamais été
pour la bonne raison que je suis cinéaste.
Wendy Magazine (surpris)
: On ne vous connaît pourtant pas d’œuvre cinématographique.
Arthure Sé
: Absolument. Pour la bonne raison que je n’ai jamais fait un
seul film. Et je n’en ferai malheureusement jamais. Car je me refuse
à filmer la laideur. Or tout est laid, tout est intégralement,
littéralement et évidemment laid. Les acteurs sont laids, les
actrices sont laides, les décors sont laids. Si vous regardez l’histoire
du cinéma, vous êtes frappés par l’extrême
laideur de tout ça. Ça saute aux yeux. Depuis plus d’un
siècle, des guenons filment des immondices. C’est la pure vérité.
Wendy Magazine
: Vous n’y allez pas avec le dos de la cuiller. Justement, dans
« Michel-Michel 29 », vous jetiez des couverts du haut d’un
immeuble. Est-ce une façon pour vous redéfinir les supports
esthétiques ? (les volets claquent)
Arthure Sé (il rit)
: Absolument pas. (à part) Je travaille d’abord sur
la notion d’espace. (reprenant) Dans « Michel-Michel
29 », je voulais surtout mimer une expérience liée au
dégoût de soi. Par contre dans « Jean-Philippe-Jean-Philippe
51 » où je lançais du haut d’une tour une série
d’extincteurs, j’essayais bien de redéfinir les supports
esthétiques. (il se gratte les cheveux)
Wendy Magazine (au bout
d’un moment de silence) : Dans « Frédéric-Frédéric
17 », vous vous attachez à lâcher du haut d’un château
d’eau des appareils à pierrade. N’est-ce pas ici pour vous
le début d’une prise de conscience que l’art est un inaboutissement
?
Arthure Sé :
Non. (le valet entre)
Wendy Magazine
: Est-ce qu’être artiste c’est, comme le dit la chanson,
(chuchotant) « exprimer une aigreur, une frustration de
ne pas être invisible ou plutôt une frustration de ne pas avoir
su à temps ne pas avoir été vu » ?
Arthure Sé
: Dans « Yves-Yves 60 », je règle le compte de cette
vieille légende. (congédiant la bonne). Il s’agissait
pour moi avant tout de jeter du haut d’un abribus des prises dénudées,
(sur un ton plus vif) mais aussi de tordre le cou à ce cliché.
(violent bruit de porte)
Wendy Magazine (se rasseyant)
: Les clichés ne sont-ils pas au fond l’objet même de toute
œuvre d’art ?
Arthure Sé :
Eh bien, c’est ce que nous verrons sapristi ! (il s’empare
du parapluie)
Wendy Magazine
: Assurément.
Arthure Sé :
Mais ma parole, vous êtes saoul comme trente-six bourriques ! (a
part) Mon Dieu oui ! il tient à la fois du dindon et de la bécasse.
(il sort)
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