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Les people sont-ils jouables ?

 

 

Par Olivier Malagier [contact]

Parler des gens, c'est les mettre dans des cases étroites où ils se débattent comme chatons en cage. Dans la presse magazine peut-être plus qu'ailleurs. Entre bio à la six-quatre-deux, profil psychologique à deux francs six sous et ragots à la mords-moi-le-noeud, difficile pour les journalistes de rendre compte de l'humain.

Wendy Magazine s'y essaye ici humblement. Sans supprimer les cases, mais en les interchangeant. La méthode s'inspire librement d'une étude* parue dans la revue Supernature sur les façons de juger autrui à travers les critiques de son œuvre. Que dit-on sur tel réalisateur, sur sa personne, en parlant de sa mise en scène ? Wendy, défricheur des tendances journalistiques de demain, applique le questionnement en supprimant le medium entre la personne et nous, tout en conservant les catégories servant à évaluer le medium. Que se passe-t-il si l'on parle d'un auteur-compositeur-interprète (et pas de sa musique) avec les grilles d'analyses des jeux vidéo et des films de cinéma ?


Damien

Son premier album, "L'Art du disque", est sorti le 17 avril 2006. S'inventant un personnage à la Ziggy Stardust qui voyagerait à travers les siècles plutôt que dans l'espace, Damien revisite et digère le répertoire de la variété. Il en tire une pop à la fois accrocheuse et décalée.

Intrigue : On le suit volontiers dans l'histoire qu'il nous raconte, celle d'une mystérieuse mission que lui auraient transmis nos lointains descendants. On le suit puis on le perd parfois. On sent un goût certain pour la déstabilisation, mais une fois passée cette longue et déroutante mise en place, le résultat ne manque pas de saveur.

Mise en scène : Damien en fait des tonnes et il joue de ça. Grand roux dégingandé, il occupe un certain créneau de French lover : séducteur et très agaçant. Les costumes d'époque sans époque déterminée, les plans larges, les accessoires, l'absence de figurants, l'ensemble fonctionne à merveille pour peindre un univers de solitude digne des génies et des idiots. Ce faisant, il évite un à un tous les écueils des Visiteurs.

Jouabilité : La prise en main n'est pas immédiate, loin de là. La première impression est celle d'un gros bug. L'interface pourra paraître trop lourde tant le nombre d'actions possibles en terme de gestion se montre élevé. Mais c'est sa base de données étoffée, voire foisonnante, qui fait tout son intérêt.

Verdict : W W W. Curieux. Doucement irritant. A suivre.

Serge Marthin

Dealer d'appartements dans une agence immobilière gaie du quartier du Marais à Paris, Serge Marthin gère au quotidien un nom trop banal et un zozottement d'enfance disparu mais mal passé. Des parents indifférents en grande banlieue et un métier qu'il n'a pas voulu pourraient le rendre fou s'il n'avait adopté la moue élégante et distancée des chanteuses pop mélancoliques.

Intrigue : Serge Marthin parvient au tour de force de rendre hypnotique une succession sans queue ni tête et triviale de scènes quotidiennes. D'une tendance passagère à péter dans la rue aux effets inattendus du souvenir d'un ex en passant par les mp3 écoutés dans le RER, tous les éléments s'imbriquent grâce à une logique secrète. On reste accroché de bout en bout ; l'équilibre est parfait entre divertissement ironique et nostalgie sans passé idéalisé moisi.

Mise en scène : A première vue, Serge Marthin a mis toute pudeur à la poubelle. Il se livre cash, voire trash. Mais c'est sans compter le filtre d'une certaine intelligence de la vie et d'un humour truculent, à la fois bavard et irrésistible. A grands renforts de sourires en coin et de regards en l'air faussement distraits, et par une mise en scène toujours enlevée et fluide, Serge Marthin fait passer la pire saloperie pour une chatouille ou une caresse.

Jouabilité : Très interacif. L'I.A. plutôt simple garantit à la fois une accessibilité immédiate pour tous et un approfondissement durable pour ceux qui veulent aller plus loin.

Verdict : W W W. Authentique. Direct. Attachant.


Catherine Ferroyer-Blanchard

Elevée à Monaco, la rédactrice en chef de Wendy Magazine impressionne par sa jeunesse, son charisme et sa pertinence. Ayant fait de la tendance son credo, elle frôle parfois l'intégrisme, ce qui ne l'empêche pas d'attitrer la sympathie de beaucoup. Sa détermination lui permet de mener à bien d'autres projets qui lui tiennent à cœur, comme la chanson.

Intrigue : Catherine Ferroyer Blanchard fait planer autour d'elle un sorte de halo de mystère. " Qui est-elle ? " est la question qui revient sur toutes les lèvres. La limite de l'exercice est une image de rigidité et d'immuabilité. Il n'y a pas d'évolution et on reste sur sa faim. Ce qui n'enlève rien à la beauté du tableau et on sent la demoiselle capable de surprendre. Vivement la suite.

Mise en scène : Catherine Ferroyer Blanchard a compris que pour imposer ses idées, il suffisait de les énoncer avec aplomb. On se laisse facilement convaincre par ses vues iconoclastes, parfois farfelues, ses effets spéciaux qui en mettent plein la vue sans ramer. La raison : elle ne se départ jamais d'une certaine légèreté qui transparaît par exemple dans son single " C'est bien trop tard ".

Jouabilité : On peut déplorer un nombre d'actions limité mais une version plus élaborée lui permettrait de faire le poids sans difficulté face aux mastodontes du genre. Le côte quelque peu aléatoire des réactions apporte au gameplay une nervosité qui ravira les amateurs de prises de risques.

Verdict : W W W. Habitée. Audacieuse. Prometteuse.


* BENRAVI Shirel, GOSPER Wilhem. Knowing autrui through critique. Supernature, apr-jun 2006.


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