Tout le monde se souvient des t-shirts "I hate Brenda Walsh" lancés en 1994 pour exiger le départ de Shannen Doherty de la série Berverly Hills.
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L'évangélisation anorexique

 

 

Par Antoine de Chloé, correspondant permanent aux Etats-Unis d'Amérique [contact]

Depuis quelque temps, l'anorexie a le vent en poupe : articles dans la presse TV, colloques nationaux, émissions dédiées sur M6, multiplication des interventions politiques, déluge de publicités Canderel... Impossible de faire un pas sans avoir envie de perdre huit kilos.

Tête de pont de cet engouement, le célèbre Mouvement anorexique connaît aujourd'hui un développement sans précédent : fondé en 1994 pour contrecarrer le retour des formes pulpeuses (notamment incarnées par Laetitia Casta et Shannen Doherty), il emploie aujourd'hui 13 000 personnes et est présent dans 63 pays.

Fort de ce puissant réseau, le Mouvement prône une philosophie, des croyances, des dogmes et des rites qui dépassent la simple adhésion à une pathologie. Certains n'hésitent d'ailleurs pas à le comparer à une véritable religion, dont les techniques d'évangélisation se rapprocheraient de celles des églises protestantes américaines.

Petit tour d'horizon de l'invasion anorexique.


>>>La guerre confessionnelle

Tout commence avec de l'organisation. Prêcher la bonne parole et convertir les masses ne s'improvise pas : la colonisation d'une opinion publique doit toujours se fonder sur une structure efficace, capable de faire face aux poids lourds idéologiques.

Plus puissant que jamais, le Mouvement anorexique remplit cette fonction avec brio. Avec un taux de pénétration record au sein de la population, son influence ne cesse de croître.

« En France, 1 % des adolescentes de 15 à 18 ans adhèrent à l'Anorexie » explique Anastasia Poupiet, Directrice Marketing EMEA du Mouvement. « 83% des adolescentes déclarent également être obèses et souhaitent perdre entre 40 et 50 % de leur poids total (hors cheveux et ongles).* »

De toute évidence, ces excellents résultats n'auraient jamais pu être atteints sans les intenses campagnes de lobbying menées par le Mouvement depuis sa création. Emblème de cette politique : le lynchage médiatique orchestré en 1994 pour forcer Shannen Doherty - alors héroïne de la série Beverly Hills - à quitter le petit écran.

« Shannen Doherty était un angelot ! » révèle Anastasia Poupiet, l'air malicieux. « C'est le Mouvement qui a mené une violente campagne d'incitation à la haine auprès du grand public. »

Tout le monde se souvient ainsi du débardeur « I hate Brenda Walsh » porté par Madonna aux Grammy Awards de 1994, et qui porta un coup de grâce à la carrière de la jeune actrice.

Ce lynchage médiatique ne manqua évidemment pas de provoquer l'indignation de la puissante Fat League. Furieux, les membres de son conseil d'administration ordonnèrent aussitôt le sabotage de la chirurgie plastique de Cher.

Depuis le début des hostilités, la guerre n'a pas cessé de faire rage entre les deux chapelles. Et si le Mouvement fait preuve d'une ingéniosité épatante pour attaquer la League, cette dernière peut compter sur sa taille : avec plus de 200 millions d'adhérents à travers le monde et des entrées au Congrès américain, la Fat League dispose d'une force de frappe quasi-chirurgicale pour riposter au moindre affront.


>>>Le prosélytisme


Face aux moyens phénoménaux de la menace adipeuse, le Mouvement a vite compris que l'ancrage local était indispensable pour prendre l'avantage : convertir une cible conquise dès son plus jeune âge par les sucres rapides et les graisses saturées est un travail de très longue haleine.

Ainsi, en parallèle des interventions éducatives consacrées aux maladies cardiovasculaires dans les écoles primaires, le Mouvement a mis sur pieds une redoutable machine de guerre : les Skin Camps.

Dans la lignée des Fat Camps (les camps d'été qui permettent aux jeunes obèses de mincir), les Skin Camps proposent des stages intensifs, durant lesquels des professionnels qualifiés distillent les conseils basiques indispensables pour rester mince.

Les résultats sont pour le moins radicaux. « J'ai complètement supprimé la vitamine B19 de mon alimentation » témoigne ainsi Ludivine Moldaviaux**, 21 ans***. « Elle est responsable du développement du foie [qui peut peser jusqu'à deux kilos, ndlr]. »

Mais le phénomène peut atteindre des proportions bien plus importantes. Depuis 2002 et son passage en Skin Camp, Katia Fitzgerald**, 24 ans***, se nourrit presque exclusivement d'édulcorants. « Je consomme deux boîtes de sucrettes par jour, ainsi que quelques légumes [pour les fibres et les vitamines, ndlr]. »

Les effets cancérigènes supposés de l'aspartame ne paraissent pas l'ébranler le moins du monde. « Je préfère mille fois attraper un cancer carabiné, plutôt que d'avoir un gros cul ! » s'exclame-t-elle le sourire aux lèvres.


>>>Les idoles

Isolé, ce désir suicidaire de minceur peut laisser perplexe. Mais il ne naît pas instinctivement : il ne serait jamais en mesure de se manifester de façon si aiguë sans l'intervention de modèles, de stars disposées à prêter leur image à la cause anorexique.

Si ces dernières jouent un rôle crucial dans la diffusion de l'Anorexie, toutes ne sont pas aptes à prêcher la bonne parole. Le Mouvement l'a d'ailleurs appris à ses dépens.
« En 1999, nous avions choisi Geri Haliwell comme figure de proue. Depuis, les choses ont évolué : nous avons réalisé qu'il ne suffisait pas de perdre 50 % de son poids en trois mois pour devenir une icône anorexique » explique Anastasia Poupiet.

Le choix de Nicole Ritchie pour 2006 s'est avéré nettement plus fructueux. La nouvelle égérie du Mouvement anorexique s'affiche partout. Elle aurait permis de rallier une cible essentielle : celles qui détestent Paris Hilton. « Elles représentent 12 à 14 % des femmes de 20 à 39 ans, soit près de deux millions de personnes en France » affirme Anastasia Poupiet.

Face à cette icône du show-business, la Fat League fait piètre figure. Son ambassadrice, Mariah Carey, n'a pas apporté les résultats escomptés, et ce malgré une administration massive de cortisone à la rentrée. « Doubler de volume entre chaque apparition télévisée ne rend pas forcément plus sympathique : au final, qui veut ressembler à un gros boudin saucissonné dans du vinyle ?... » se demande, sous couvert d'anonymat, un cadre de la Fat League.



Pour le moment, tout porte donc à croire que le Mouvement anorexique a bel et bien gagné la bataille socioculturelle : malgré leur visibilité grandissante, les gros sont de plus en plus perçus comme des parasites s'emparant de toutes les ressources.

« Nous vivons dans une société d'obèses ! » s'emporte ainsi Anne-Sophie Gibaud-Verdier**, 69 ans***, interviewée dans un célèbre magasin parisien. « Impossible de trouver un seul jean en 22x34.»

Devant le déluge de haine qui submerge chacune des deux chapelles, d'aucuns parient déjà sur une Saint-Barthélemy des calories.
Qui en sortira vainqueur ? Nul ne souhaite s'avancer. Seule certitude : le rouleau compresseur anorexique menace...



* Sondage IFOP, mené sur un échantillon représentatif de 8 954 adolescentes lors du Dance Machine 19 à Paris-Bercy.
** Les noms et prénoms ont été changés.
*** Les âges ont été changés grâce à un logarithme népérien.

 

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